lundi 17 février 2014

Entreprise 2.0: faiblesse passagère ou fin du modèle? (partie 1)

Cette semaine, a eu lieu à Paris dans les locaux de l'ESCP, l'Entreprise 2.0 Summit, la conférence de travail annuelle sur le travail collaboratif et les réseaux sociaux d'entreprise.

Beaucoup d'experts et de matière grise échangée, pour faire le point sur l'avancement de la construction de l'Entreprise 2.0. Une entreprise 2.0, suivie par GreenSI car elle concerne la DSI tant elle va impacter les évolutions de l'ERP qui en supporte les processus et des solutions collaboratives qui se généralisent.

Ces dernières années, de nombreux succès ont su faire passer les réseaux sociaux d'entreprise (RSE) d'une simple phase de pilotes, à une phase utilisation plus large et une présence dans 27% des intranets selon l'étude de l'Observatoire de l'intranet.

Mais force est de constater, que les domaines de prédilection des RSE sont généralement des domaines limités (même si parfois transverses), et qu'on est loin d'une généralisation du RSE comme outil de travail ou d'une adoption massive des salariés. Même parmi mes "early adopters" (dès 2009) comme Pernod-Ricard, Alcatel ou Lyonnaise des Eaux.
Des RSE qui souvent grâce a l'énergie d'une poignée d'évangélistes qui conduisent le train, emmènent la majorité des autres employés, confortablement installés à l'arrière et profitant de la vue de façon passive. Et dans certaines entreprises, tous les employés ne sont pas montés dans le train. Tout simplement parce qu'ils ne sont pas reliés au système d'information pendant les heures de bureau. Condition sinequanone pour utiliser le RSE.

En tout cas, l'usage en entreprise des RSE n'a pas réussi à capitaliser sur celui de leurs cousins: les réseaux sociaux grand public.

Des réseaux qui, comme Facebook, sur la période ont fait le plein de centaines de millions d'utilisateurs ou comme tous les autres ont testé régulièrement de nouveaux formats de partage (Twitter pour l'information instantanée, Pinterest ou Instagram pour les photos, Vine pour les vidéos, ...). Et certains comme LinkedIn, commencent à empiéter sur le terrain de l'entreprise, en collectant des données de profils des collaborateurs, très pertinentes pour la gestion du recrutement et des RH, ou pour la prospection des commerciaux...


Or on parle bien des mêmes collaborateurs qui utilisent ces réseaux. Qu'ils soient sur les réseaux sociaux grand public sur leur mobile la journée et sur la tablette le soir, chez eux mais aussi salariés pour certains et utilisateurs potentiels du RSE d'entreprise.


Si l'utilisation des Réseaux sociaux doit être une nouvelle forme d'organisation du travail en entreprise, elle doit trouver sa place dans la mallette des outils de collaboration des travailleurs. 

Et devra certainement trouver sa voie à côté des processus de l'entreprise. Car c'est peut-être ça le problème. Les réseaux sociaux en entreprise ne sont pas encore assez intégrés dans les rouages de l'entreprise, les fameux processus.  Pourquoi?

Y aurait-il incompatibilité entre les processus et les RSE?

Les processus sont une forme déterminée à l'avance ("modélisée") d'enchainement des activités. Avec des déclencheurs, des produits en entrée, des produits de sortie et une affectation claire des activités a chaque acteur en fonction de rôles, eux aussi prédéterminés. Un monde idéal qui ne laisse aucune place à l'improvisation.

Le réseau social lui, se caractérise par les profils riches des acteurs, par un flux d'activités et un graphe social, qui s'enrichira en permanence avec le déroulement des activités par les acteurs. Personne n'affecte pas les activités, au mieux l'interface les suggèrent à ceux qui sont les plus à même d'être intéressés donc de les réaliser en fonction du graphe social justement. Un monde qui fait entrer en scène la sérendipité, l'art de trouver ce que l'on ne cherche pas.

Donc, dans le cadre d'activités opérationnelles, processus et réseaux sociaux s'opposent dans la façon de distribuer le travail. Obligation et déterminisme d'un côté, facultatif et sérendipité de l'autre. L'entreprise semble avoir choisi son camp, celui des processus.



Dans ces conditions, la transformation profonde de l'entreprise vers entreprise sociale et la mise en œuvre d'un modèle social dans l'entreprise ne pourra pas émerger sans régler cette question: RSE ou processus?
Complémentarité des processus et du RSE


Pourtant il existe bien un territoire naturel pour les RSE qui montre que ces deux modèles sont complémentaires :
  • Déjà, là où les RSE se sont développés car les processus ne sont pas définis ou sont extrêmement simples: revue de presse, suivi de projets, entraide, créativité, veille, production de connaissance, ... Il n'y a qu'a regarder les multiples témoignages d'entreprises à ce sujet.

  • Ensuite, là où ne peut pas imposer les règles de l'entreprise, notamment autour du Social CRM et de la relation avec les clients. Pour les entreprises qui veulent garder la main avec les réseaux sociaux grand public dans lesquels l'entreprise devra aller sous peine d'occulter une partie des conversations de ses clients.
    On pourrait imaginer que cela soit aussi le cas avec les fournisseurs, mais la relation fournisseur est souvent moins sophistiquée que la relation clients dans l'entreprise.
    Et aussi avec les actionnaires ou les candidats... bref tous ceux qui sont en externe de l'entreprise et à qui elle ne peut pas totalement imposer ses méthodes.

  • Enfin, là où les processus ont été mis en place... par erreur. Du moins faute de mieux. Là où il suffit de fixer un objectif, a peine structuré, et de laisser faire les salariés. Ne pas se plaindre ensuite que l'entreprise manque d'entrepreneurs...
Un constat qui est aussi fait par ceux qui viennent du monde des processus, comme João Pinto dos Santos, Digital Transformation leader chez Accenture et spécialiste du BPM - Business Process Re-engineering. Les processus n'ont bien fonctionné qu'avec les activités principales, les données structurées et les acteurs en charge des workflows. Un fossé existe pour couvrir avec les processus toutes les activités de l'entreprise. Les modèles de BPM sont en train d'évoluer pour les combler et cette évolution (Adaptative Case Management) ressemble étrangement au fonctionnement d'un RSE.



Et puis n'oublions pas que les processus demandent un investissement important au départ (modélisation) et une énergie plus faible ensuite, alors que les RSE c'est l'inverse. On démarre simplement mais ensuite on doit structurer et animer en permanence. Quand on est pressé ou que l'on a pas d'argent, le RSE est plus efficace à court terme. C'est peut-être pour cela que les startups adoptent souvent ce type d'organisation peu structurante et ne se préoccupent des processus que bien plus tard.
Il y a donc une réelle complémentarité entre les deux approches et aucune ne remplacera l'autre.

Alors pourquoi ce modèle d'organisation appuyé sur le RSE peine à émerger?

De ce que comprend GreenSI, la situation actuelle s'explique par le non-allumage d'un moteur : celui du salarié. Les salariés utilisent majoritairement le RSE comme un outil passif, alors que c'est à eux d'en faire un outil actif. A leur décharge on ne leur a pas toujours dit comment...

Les RSE reposent sur l'utilisation d'une plateforme informatique donc sur un certain volontarisme des salariés pour apprendre à l'utiliser et lui trouver un usage. Les processus, eux, ont pu émerger bien avant leur informatisation (avec des manuels de procédures très épais), et leur usage s'est ancré dans l'entreprise, puis ils ont été boostés par le développement de l'informatique, notamment avec les ERP.
Cette plateforme informatique  est d'une certaine façon une barrière qui freine leur déploiement. S'il n'y a pas un avantage immédiat, les salariés n'y passent pas le temps suffisant pour y chercher des usages personnels et l'adopter comme outil. Non pas qu'ils rejettent l'informatique, car c'est de plus en plus nécessaire pour accéder à l'information et traiter la partie administrative de leur travail (communication , ordre du jour , les dépenses , factures, ... ), mais qu'ils ne l'ont pas assimilé comme un outil de développement personnel.

Une statistique cette semaine a indiqué qu'un milliard de personnes avaient utilisé Twitter alors que le nombre d'utilisateurs actifs n'est que du quart. On retrouve ce même phénomène avec ce réseau social grand public: je suis venu, je n'ai pas compris (et on ne m'a pas expliqué) alors j'ai laissé tombé. Et pourtant Twitter est un outil performant, certainement adapté a des usages qu'ils n'ont pas eu le temps de découvrir.

Ces "employés 1.0", n'utilisent le numérique que pour faire un travail qui se numérise un peu plus tous les jours. Là où avant ils remplissaient un papier maintenant ils doivent saisir en ligne.

Ils ne cherchent pas à en savoir plus ou découvrir de nouveaux usages. Il veulent juste faire leur travail, un point (zéro) et c'est tout. Et ils représentent la majorité des salariés, avec ceux qui ne sont pas raccordés.




Ce n'est pas parce qu'ils ont accès a un ordinateur, et donc au RSE, qu'ils vont devenir des utilisateurs actifs d'un outil qui n'est pas inscrit dans les processus ou dans leur contrat de travail. Un peu comme si on voulait que chaque conducteur automobile, soit aussi totalement au point sur l'entretien de son véhicule et bien connaître son moteur.
Bien sûr, pour ceux qui n'ont pas de terminaux reliés au SI, la question se pose encore moins et les processus sont pour eux la seule forme d'organisation du travail.


On est donc pour ces deux types de salariés, loin des motivations des sponsors qui eux veulent transformer l'entreprise, des animateurs dans l'âme dont le métier est l'animation de communautés internes ou des utilisateurs 2.0 qui ont compris tout l'intérêt qu'ils pouvaient tirer des RSE, pour leur travail d’aujourd’hui ou leur eRéputation de demain.

L'entreprise 2.0 ramène à la motivation des employés et leur implication dans leur travail. 

D'ailleurs, l'adhésion faible au RSE pourrait peut-être, être un indicateur d'une certaine « rupture » entre l'entreprise et ses employés. Rupture à laquelle les RH se doivent de répondre, pas le RSE. Pourquoi devrais-je faire plus que ce dont j'ai besoin pour assurer mon travail et investir dans la création de relations dans l'entreprise. L'enquête Endered-Ipsos 2013 au niveau européen sur le bien-être et la motivation des salariés met en avant que seuls 43% des salariés français, 48% des italiens et 49% des espagnols se déclarent satisfaits de la reconnaissance de leur implication. Le potentiel de « frustration » est donc élevé.

Le RSE ne peut pas être responsable de tout quand même!

Une aspiration a un modèle d'entreprise plus ouvert?

Mais le social n'est pas seul dans cette quête de changement de modèle.

On retrouve les mêmes questions avec l' innovation ouverte ("open innovation"), qui n'est pas non plus quelque chose de naturel ou de prévu par les processus : aller partager votre innovation avec les autres et même les concurrents. Une innovation ouverte qui a pourtant réussi à stimuler la transformation de plusieurs entreprises autour de thèmes stratégiques qu'elles se sont choisis.
Et en y regardant d'un peu plus près, on voit apparaître de toutes parts, de nouvelles approches d'organisation des activités de l'entreprise, en interne ou avec l'externe, se cachant sous des noms anglophones pour la plupart: " hackathons " , " barcamp " , fablabs , design thinking , ...

Toutes ces approches nécessitent de quitter la rigidité des processus et des règles de gestion bien établies.

Récemment GreenSI a trouvé dans la très sérieuse Harvard Business Review un article très pertinent de Raffi Duymedjian : ""Bricolage en entreprise, la fin d’un tabou". Un manifeste qui questionne si l'homme dans sa quête de rationalité et de déterminisme, n'est pas allez un peu loin dans la rationalisation des processus de l'entreprise. Et si de vouloir tout régir avec des processus et un ordre établi n'était finalement qu'une obsession de notre condition humaine? 

 

N'est-ce pas l'écho de ces flops qu'on ne sait pas toujours expliquer :
  • taux d'échec élevé des projet ERP,
  • un effort de conduite des changement démesuré pour leur mise en œuvre,
  • une gestion des exceptions et des anomalies qui demande 80% des efforts et ne représente que 20% des cas,
  • qui a des processus bien formalisés et à jour ? sérieux !?
L'entreprise 2.0 va au delà du RSE et ne s'appuiera pas que sur des processus formalisés. Ils trouvent eux-même leur limite et se doivent d'évoluer.
 

C'est une nouvelle forme d'organisation, plus ouverte, plus agile, moins déterministe car reposant moins sur des processus structurés et plus sur de la collaboration social. Le RSE, qui est la nouveauté et la priorité de ces dernières années, y joue un rôle, mais il n'est pas seul. Les processus vont continuer d'exister.

Mais pour ne pas rester un phénomène éphémère, le RSE va donc devoir résoudre sa propre équation et aller plus loin dans son adoption: s'intégrer avec les processus opérationnels. 

Ce sera le thème du prochain billet: Entreprise 2.0, un coup de processus et ça repart! (partie 2)
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