lundi 28 septembre 2015

DSI: la fracture?

Cette semaine j'ai fait un mauvais rêve. Il faut que je vous en parle!

Je me réveillais 5-7 ans en arrière, dans une économie où le Cloud et l'innovation n'étaient encore que de faibles lueurs à l'horizon de la DSI, quand les projets étaient plus des jeux de pouvoir, parfois téléguidés par de puissants fournisseurs, que des volontés stratégiques de transformation de l'entreprise.

A cette époque, l'avancement hiérarchique se mesurait à la taille du budget obtenu et dépenséEt comme les budgets informatiques étaient toujours croissants, il n'y avait mécaniquement que des personnes ultra performantes à l'informatique, avec toujours plus de budgets et de responsabilités. Au mieux, on demandait de couper de 5% son budget ou de stabiliser l'augmentation. De toutes façons, les métiers n'avaient pas le choix. Et puis c'était confortable. Car avec plus de moyens, le pilotage a le temps de tranquillement faire face aux imprévus.  

C'était une époque où voir et manipuler les applications, comprendre leur architecture et leur potentiel, n'intéressait ni le DSI, ni ses équipes. Les décisions se prenaient sur des postures via une bataille d'influence avec les métiers, quand ce n'était pas à l'intérieur même de la DSI. Et puis la DSI n'aura pas à utiliser les systèmes qu'elle produit; la mobilité et les smartphones n'étaient pas encore là pour amener plusieurs façons de les utiliser en conditions opérationnelles, voire d'imaginer des innovations. 


Car dans mon rêve, la DSI n'était pas partie prenante avec le business.

C'était un centre de coûts, au mieux un fournisseur interne, assis sur le monopole et le confort de sa relation, lui permettant par exemple de se retrancher derrière "la validation des besoins des clients par la MOA". J'imagine le maître d'ouvrage devant le client, surtout en B2B, "Euh, non désolé ce n'est pas un besoin, allez voir chez nos concurrents, car ça nous ne ferons pas...".
Bien sûr ce n'était qu'un rêve! Le rêve d'un autre âge, quand les conditions économiques étaient différentes, la technologie moins porteuse de ruptures, et moins disponible aux nouveaux entrants.

Car en 2015, le Cloud est là. Et la DSI l'apprivoise pour fabriquer ses futures plateformes.

Elle est impliquée dès le départ dans le processus commercial pour voir comment le SI peut aider l'entreprise à se développer et à innover.

Elle développe une relation de partenaire avec les métiers et assume la responsabilité du pilotage des plateformes numériques qui délivrent les nouveaux services aux clients de l'entreprise.

Les plateformes se construisent à coût marginal, en projet incrémentaux et agiles, au fur et à mesure de l'expression de besoin directement par les clients. Les applications sont testés et essayés au quotidien pour anticiper l'expérience utilisateur et l'améliorer. La seule satisfaction des clients, traduite en revenus, sert de "maîtrise d'ouvrage" commune aux Directions métiers et à la DSI. L'alignement parfait entre la stratégie et le SI.

Partant du client et d'un environnement commercial compétitif, les projets sont conçus "design to cost" pour apporter de la valeur au bon niveau de prix. Les économies d'échelle et la mutualisation ne sont plus une option pour l'entreprise, la transversalité entre métiers non plus, car les plateformes mondiales des géants du net ont rendu le cloud public compétitif. La DSI l'utilise, mais construit aussi son Cloud privé pour y mettre les applications critiques, dont la disparition (par exemple la clef sous la porte du fournisseur, ou le doublement du prix) mettrait en péril l'entreprise ou son avantage compétitif. Le Cloud est devenu hybride, public et privé, et sert de terrain de jeu aux équipes SI et à leurs nouveaux fournisseurs.

Vers une fracture à la DSI?

Aujourd'hui à la DSI, ce mauvais rêve, on peut aussi le faire éveillé.
Par exemple, quand une équipe encore le nez dans le guidon d'une application pensée dans l'ancien monde, rencontre à la machine à café ou dans une salle de réunion, une équipe engagée dans la construction rapide et agile des actifs de l'entreprise numérique. Elles commencent à ne plus parler le même langage et à ne plus se comprendre. 

La faute donc au numérique qui entraîne une séparation du SI en deux ("bi-modal IT" chère à Gartner - voir La guerre des CIOs) avec une partie agile pour la conquête commerciale et la transformation numérique, et une autre héritant d'un historique, d'une dette technique et de processus moins au coeur (pour l'instant) de cette économie numérique.

Les priorités et la gouvernance changent, ou se renversent, "FLIP", comme le présente Gartner dans le schéma ci-après. 


L'incompréhension qui peut s'installer entre ces deux mondes du SI est similaire à celle des chauffeurs de taxis bloquant des VTC dans la rue, voire détruisant leur outil de travail...

Et dans un domaine proche des taxis (le co-voiturage), la même semaine, BlaBlaCar lève 200 millions et devient la première startup française à briguer le statut de "licorne" (valorisation de plus d'1 milliard), quand le conseil constitutionnel confirme l'interdiction d'Uber Pop en France.
Pourtant la plateforme SI sous-jacente à toutes ses formes de transport est relativement similaire.

Elle permet à des chauffeurs de proposer leur trajet planifié à l'avance (BlaBlaCar) ou à des chauffeurs professionnels, ou des particuliers (UberPop), d'aller prendre des clients, sur des points fixes (stations de taxis) ou géolocalisés (VTC). D'ailleurs les plateformes téléphoniques des taxis ont récemment fait évoluer leurs applications mobiles et même leur modèle économique (forfait des taxis de nuit). Tout cela converge techniquement.

Ce n'est donc pas l'application qui fait la différence, mais bien le modèle économique sous-jacent et les contraintes réglementaires (gouvernance) que l'on souhaite s'imposer.


De retour à la DSI, de vouloir piloter le SI avec une finalité unique va révéler des tensions qui seront proches de ce que l'on a pu observer avec l'émergence des nouveaux modèles numériques.

Certains pouvant se retrancher derrière des arguments "légaux" mais qui ne sont plus adaptés à l'intérêt de l'entreprise. Réciproquement ceux qui construisent les nouvelles plateformes vont devoir enfreindre des lois de gouvernance devenues obsolètes.

Il va certainement y avoir urgence pour la Direction Générale à traiter la question de la gouvernance de la DSI, quand la dualité du SI augmente et que son émergence sera essentielle pour la réussite de la transformation numérique de toute l'entreprise.

Peut-être une mission à confier aux Chief Digital Officer, membres du Comex, qui s'installent dans les Etats Majors du CAC40 à ce qu'il parait. En tout cas côté DSI de l'Etat ça c'est tranché cette semaine. C'est Henri Verdier directeur d'Etalab (la partie agile) qui devient DSI, après la fusion d'Etalab et de la Disic, renommée Dinsic pour l'occasion.

Le N du numérique est reconnu et intégré dans une direction informatique unique. Reste à conduire le changement auprès des équipes maintenant et poser une gouvernance réconciliant la double attente d'innover et de préparer demain, tout consolidant et réduisant les couts hérités d'hier.
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