lundi 2 mai 2016

Economie collaborative: casse-tête pour l'Etat, chance pour nos Régions

L’économie collaborative est une économie entre personnes, avec la plateforme numérique comme intermédiaire. Un modèle "peer-to-peer", rendu possible par la baisse drastique du cout de mise en relation entre particuliers, offert par l'internet depuis son origine. Il y a dix ans avec des échanges de fichiers sur PC, légaux ou non, elle est devenue échange de biens et de services depuis un mobile et demain depuis d'autres objets connectés.

L’économie collaborative a été très médiatisée dans les transports (VTC), mais elle se développe dans tous les secteurs, et devrait rompre avec le nom d' "Ubérisation".  Du Logement, sous de multiples formes (location entre particuliers, de bureaux, co-location, échanges, achats participatifs...) à l'Alimentation (AMAP, plats cuisinés pour les voisins,...) en passant par les Services (entraide entre particuliers, courses, bricolage, dépannage, soutien scolaire, ...) et même la Finance, un domaine pourtant très régulé.


La cartographie de Crowd Companies est la plus complète dans le domaine.
GreenSI aime bien sa version illustrée par Bruno Paradis reprise dans ce billet. Elle y référence déjà 17 domaines et des centaines de startups. La forme de ruche n'est bien sûr pas un hasard. Outre l'image de cet insecte ouvrier producteur, menacé par le monde industriel, elle permet de rajouter simplement de nouvelles alvéoles...

Et dans chaque domaine les chiffres montrent une réelle adoption par les particuliers. Des observatoires de l'économie collaborative ou de l'Ubérisation se montent un peu partout.

Comment expliquer ce succès ?

Le numérique rend possibles ces nouveaux modèles, certes. Mais la crise n'y est pas pour rien quand les particuliers cherchent a dégager des revenus complémentaires de biens sous-utilisés ou de compétences non exploitées (cuisine, langues, bricolage...). Quitte a parfois franchir la ligne de l'occasionnel et en faire une nouvelle activité...

Et puis la transition écologique nous martèle l'idée d'une meilleure utilisation des ressources comme la seule option pour la planète. C'est le cœur de certains de ces modèles collaboratifs par rapport au modèle industriel. Après tout quand la plateforme cherche a optimiser, elle peut le faire selon tous les critères possibles, dans la mesure où cela s'inscrit dans le business modèle. 

L'économie collaborative est donc inscrite dans les tendances de fond d'évolution de la société: numérique, évolution du modèle économique et social, transition écologique.

Mais comme Napster en son temps (mort en 2011) avec le partage de fichiers mp3 en "peer to peer" contre les majors de la musique, cette nouvelle économie fait trembler l'économie traditionnelle qui repose sur une autre façon d'organiser la richesse avec des producteurs, des réseaux de distribution et des consommateurs bien séparés et bien régulés. 

Mais surtout parce que les Etats assurent leur financement par les taxes et les impôts prélevés sur cette organisation de l'économie, que l'économie collaborative se propose de rendre obsolète.
Donc bien avant de se poser la question de savoir si l'économie collaborative pouvait, dans certains domaines, être un modèle de société, ou une forme d'efficacité des services (énergétique, sociale,...) via des plateformes numériques, les Etats s'intéresse à sa taxation pour faire d'une pierre deux coups: la freiner dans son développement et assurer des revenus futurs si elle se développe.

Question certainement légitime quand les services sont marchands avec échanges monétaires, mais déjà plus discutable quand il n'y pas d'échange monétaire (dons, troc, volontariat, ...).

Il n'est donc pas surprenant que, profitant de la loi sur l'économie numérique adoptée à l'Assemblée en janvier et en cours de lecture au Sénat, les sénateurs adoptent ce vendredi 29 avril deux amendements "anti économie collaborative", modifiant le code du tourisme pour les locations de biens, en cherchant a complexifier les procédures pour louer sa propriété (enregistrement auprès des communes, déclarations,...).

Les communes auront donc la faculté (ou pas) de mettre en place une procédure d'enregistrement du loueur et de s'assurer que le loueur de meublé est en droit de le faire. Ce numéro d'enregistrement qui sera délivré devra être demandé par la plateforme, avant mise en ligne de l'annonce et figurer dans celle-ci (voir l'amendement: site du Senat.

Une belle usine à gaz administrative dont notre service public à le secret et surtout jusqu'à présent le financement par les contribuables. Mais le véritable objectif est bien sûr de créer un fichier des loueurs occasionnels pour préparer la déclaration automatique des revenus de location des particuliers.



Il sera intéressant de voir la réaction (de contournement) des plateformes de location dans les prochains mois.

On se souvient tous des frais de port à 1 centime d'Amazon quand la gratuité avait été votée au détour d'une loi cavalier législatif. Une décision qui a stimulé l'adoption d'Amazon Premium pour bénéficier de frais de livraisons forfaités annuellement (adhésion) et accéléré les commandes sur Amazon (les membres Premium achètent beaucoup plus). Peut-être l'effet inverse de l'objectif initial de protection du libraire du coin...

Le talon d'Achille du législatif c'est qu'il est lent, avec des cycles de plusieurs années en l'idée, le vote et la mise en oeuvre. En face une économie agile qui augmente le nombre de domaine couverts à grande vitesse, et surtout qui s'appuie sur les citoyens, ceux qui, dans les démocraties, finissent un jour par choisir et élire les législateurs...

Il y a donc peu de doute sur le gagnant final dans 10 ans. Car au delà des tactiques législatives ou fiscales et des projecteurs sur les grandes plateformes d'échanges, c'est bien d'une transformation de la société qu'il s'agit.

Un nombre de plus en plus important de gens veulent consommer mieux, moins ou différemment. D'autres ne souhaitent plus posséder les biens, et se préoccupent de leur cycle de vie complet.

Une nouvelle écologie (la science qui étudie les milieux et les conditions d'existence des êtres vivants et les rapports qui s'établissent entre eux et leur environnement), se développe pour étudier l'économie de l'usagede la fonctionnalité, de la performance et même l'écologie industrielle (les déchets d'une industrie sont recyclés en matière première d'une autre industrie).

Une telle économie fonctionne en boucle. C'est une économie circulaire où la notion de déchet disparait au profit de la notion de ressources. Ses tableaux de bords et ses modèles économiques suivent la limitation de la consommation et du gaspillage des matières premières et des sources d'énergies non renouvelables.

La solution est au niveau local 

Elle est souvent locale, car c'est un niveau d'optimisation négligé par les modèles industriels très centralisés des cents dernières années.

Et si l’économie collaborative actuelle n'était que l'embryon d'une économie circulaire en développement dans nos Régions ? dans nos Villes ? dans nos quartiers voire résidences ?

C'est l'idée que Sharing Lille a débattu ce 21 avril pour développer l'économie collaborative au coeur des villes. Une proposition que l'on retrouve aussi dans le rapport du député de l'Ardèche Pascal Terrasse sur l’économie collaborative publié en début d'année :  «En lien étroit avec les collectivités territoriales, les pouvoirs publics pourraient soutenir, dans le cadre d’appels à projets, des expérimentations innovantes d’économie collaborative sur les territoires.»

Replacer l'énergie du citoyen et l’innovation au cœur de la vie publique locale, dans une région en transition économique (fin des industries précédentes à la recherche de nouvelles industries) avec un fort taux de chômage, est certainement une idée forte et mobilisatrice. 

L'économie collaborative d'aujourd'hui est donc un révélateur intéressant :
  • de l'antagonisme entre la vision nationale qui vote une loi conservatrice, quand la même semaine, la vision locale de nos Régions aborde avec pragmatisme l'évolution de la société et de l'économie locale qu'elle peut développer
  • du lien fort entre la transformation numérique et la transition écologique, si on sait en orienter les objectifs non pas vers la maximisation des revenus de la plateforme, mais vers l'efficacité écologique dans une économie circulaire. Finalement le nom GreenSI pour ce blog qui associe "Green" et "Système d'Information" était un nom prémonitoire ;-)
Pour GreenSI ces deux idées sont essentielles. Il faudrait toujours les garder en tête pour décoder le débat que l'économie collaborative suscite. Débat normal dans un processus de transformation dont le résultat est encore en devenir.
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