vendredi 22 juillet 2011

L'innovation de rupture est-elle à la portée de toutes les structures d'entreprises?

Cette semaine GreenSI laisse la parole à François Druel. Tour a tour adjoint de Jean Michel Billaut à l'Atelier PNB Paribas au début de l'internet, co-fondateur de Business Village l'une des premières communautés électronique professionnelle, puis un parcours au sein de l'opérateur national et enfin consultant
Ses thèmes de recherche sont la valorisation et l’évaluation des activités innovantes. Il a choisi de partager avec nous ses réflexions sur les innovations de rupture et la structure de l'entreprise. Décodage !
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Face à l'innovation de rupture, je repense toujours à cette citation du Pr. Jean Mathiex (un historien) qui, parlant des mouvements révolutionnaires du XXème siècle, affirmait non sans humour : « un révolutionnaire c'est un terroriste qui a réussi » !
Je trouve que cette citation s'applique fort bien à l'innovation : sans sanction du marché, pas d'innovation de rupture ni de produit révolutionnaire. C'est parce qu'elles réussissent commercialement que les "bonnes idées" et autres rêveries d'ingénieurs ou d'inventeurs deviennent des innovations.


La sanction du marché, c'est ce qui sépare le moulin à légumes de Moulinex, véritable innovation domestique sans réelle innovation industrielle (c'est de la tôle emboutie), de l'Aérotrain, qui, sans succès commercial, ne fut rien d'autre qu'un délire de Pr. Nimbus (alors que techniquement les prouesses étaient nombreuses).
Il existe de nombreuses méthodes d'innovation : chacun cherche à mettre en équation ou en diagramme des modèles permettant de créer des cercles vertueux autour de l'innovation. Reste pourtant une question qui à ma connaissance n'a pas encore été résolue de manière satisfaisante : un grand groupe peut-il innover en rupture ? Et peut-il en faire durablement un modèle de développement ?


En 2003, Clayton Christensen a proposé, dans le fameux Innovator's Dilemma une approche paradigmatique et démontré que les innovations de rupture étaient souvent le fait de structures elles-même en rupture avec leur éco-système et donc qu'en cela une rupture n'est pas seulement technologique mais globale. Dans son ouvrage, Christensen détaillait le cas des disques durs: il ne s'agit pas seulement d'une technologie de rupture (par rapport à des recherches infructueuses) mais également d'une structure en rupture, Seagate n'ayant pas grand chose de commun avec IBM, le leader d'alors en la matière.
On peut aussi penser à l'accès internet : la rupture n'est pas seulement technologique -- communication par paquets vs communication par circuits -- la rupture est également économique (abandon de la facturation par demi-circuits au profit du peering)... et on pensera naturellement à toutes les industries de contenus, actuellement sur la sellette : YouTube ou DailyMotion ne sortent pas des labos de recherche de TF1 ou de CNN ; Apple, qui a révolutionné le marché de la VOD, devenant même un des leaders du secteur, n'est pas un acteur des media (loin s'en faut)...


Certaines grandes entreprises savent innover en dépit de structures en apparence sclérosées, Apple en étant d'ailleurs le meilleur exemple : cette entreprise n'arrête pas d'innover mais garde une structure quasiment gravée dans le marbre : les mêmes départements, les mêmes dirigeants depuis 15 ans ! A opposer à Microsoft (naturellement) dont les structures n'arrêtent pas de bouger et qui n'innove plus depuis bien longtemps...


Cela appelle d'ailleurs une remarque : de nombreux ouvrages de la littérature insistent sur le lien entre souplesse structurelle et innovation. Or la plupart des entreprises innovantes ont des structures plutôt fortes, voire sclérosée en apparence : Michelin ou Saint Gobain par exemple sont des entreprises très innovantes et pourtant très "raides" structurellement. Cette observation a permis à certains de postuler que le secret de la réussite est dans l'articulation entre la structure d'innovation et la structure de commercialisation. Des essais de formalisation de ces pratiques existent (Fabriquer le futur, de P. Musso & al.) mais je ne trouve rien de satisfaisant dans ces ouvrages ; ni d'ailleurs dans les méthodes telle que C-K.


Certaines ex-start-up au développement express, quant à elles, ne savent pas trouver l'énergie de la croissance et s'enlisent dans l'entropie de buzz en tous genres. Elles en sont réduites à acheter leurs innovations (qu'on songe à Google ou à Twitter rachetant Android ou TweetDeck). Ces entreprises là ne sont pas structurellement innovantes : elles ont su exploiter (voire user jusqu'à la corde) une bonne intuition. Ensuite elles ne font qu'en tirer les fruits et les conséquences.


Ma conclusion (provisoire) sur le sujet, je la tiens d'une conférence donnée en 1996 par Jean-Louis Gassée : le monde se divise en deux : les "empereurs" du business, assis sur leurs rentes de situation et les "barbares" de l'innovation, qui n'ont peur de rien et qui osent tout (ils appliquent la citation bien connue de Mark Twain : "Ils ne savaient pas que c'est impossible, alors ils l'ont fait").


Et donc, pour un empereur, la condition de survie, c'est d'être son propre barbare. Un exemple : alors qu'HP était le leader des imprimantes laser (à la fin des années 80), le "barbare" c'était la technologie du jet d'encre. La décision prise par HP a semblé totalement contre-intuitive : fabriquer aussi des imprimantes à jet d'encre. Le résultat : en quelques années HP est devenu leader sur les deux marchés !




Innover en rupture ce n'est pas seulement penser autrement, c'est également (voire peut-être avant-tout) se remettre en question.
C'est l'objectif (non avoué) de Green SI de déclencher cette étincelle. Ensuite il faudra trouver le moyen de faire prendre le foyer en interne puis de conserver le feu.
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