mardi 14 février 2017

La blockchain va-t-elle tout disrupter? Pas si vite...


Dans un billet récent (Entreprise du futur: arrêtons de parler de technologie) que vous avez particulièrement apprécié (si j'en crois les statistiques de lecture), GreenSI se demandait si cela avait encore un sens de parler de technologies et non d'usages? 

Cette semaine on va revenir sur le buzz qui entoure une technologie certainement prometteuse, ou peut-être pas d'ailleurs : la blockchain

La blockchain, c'est la technologie au cœur du bitcoin et de plusieurs autres monnaies virtuelles. Ce sont des monnaies administrées en dehors du système bancaire - car ce sont des livres ouverts - qui enregistrent toutes les transactions en toute confiance, car de manière vérifiable et permanente. Elle est apparue sur les radars des technologies disruptives en 2015 (La blockchain sur le radar des banques... mais pas que) quand on a imaginé son usage au-delà de la monnaie.

Cette technologie est très adaptée à la gestion des contrats, des transactions et de grands registres. Elle a donc certainement le potentiel de redéfinir une économie mondiale capitaliste qui repose principalement sur ces objets pour définir la propriété, l'identité ou les interactions entre acteurs économiques. Sur ce potentiel, il n'y a donc finalement aucun doute.
En revanche, on peut se poser la question de la vitesse à laquelle peut se produire cette révolution. Et là, GreenSI n'est pas toujours en phase avec ceux qui en parle pour demain.

Le raisonnement est simple. La blockchain fait partie des technologies qui construisent les architectures des systèmes d'information. C'est comme les API qui gèrent les échanges entre applications, ou même les protocoles de communication de réseaux qui gérent les échanges entre machines, ou encore l'opendata qui promet de faire circuler librement des données entre les acteurs dans les villes intelligentes. 

Or, les architectures des systèmes d'information ne se changent pas en une nuit !

La durée de vie moyenne des applications est de l'ordre de 7 ans, celle des architectures certainement plus proche du double. À titre d'exemple, on est passé du client serveur (1980) à l'internet (2000) en vingt ans, et encore, de nombreux mainframes existent toujours. 

L'adoption du Cloud va atteindre les 10 ans et la prochaine architecture de l'internet, celle de l'internet industriel des objets commence à peine (Industrial IoT) et ne sait pas encore comment elle va gérer 30 à 50 milliards d'objets en 2020.

Pour GreenSI, il y a donc peu de chance que les blockchain transforment du jour au lendemain les architectures des banques, des notaires ou des bourses, pour ne citer qu'eux.

Bien sûr, il y aura des succès et des échecs qui, comme le bitcoin, vont intégrer en un seul système l'architecture, les applications et les usages, sans remettre en cause l'existant mais en cherchant à le "disrupter". Ces succès accelèreront la prise de décision, domaine par domaine, sur les enjeux et le potentiel de cette technologie. Pour "cracker le code", ils vont dans un premier temps absorber les financements du capital risque qui ont commencé en 2013 et les investissements des banques comme nous le rappelle le cabinet CBInsight dans ses études régulières sur les investissements des VCs.



En revanche, le remplacement à grande échelle de, par exemple, l'architecture juridique et technique des actes de propriété en France, se fera à la vitesse adminissible par la société et non à celle possible par la technologie. Et dans le cas de figure cité, peut-être jamais ! On se rappelle tous que la loi Macron n'a même pas réussi à réformer le numerus closus de la profession en 2016 et créer les 1800 nouveaux offices de notaires attendus par les Français. Alors de là à dépoussiérer l'architecture de leur système d'information, ne nous emballons pas trop vite...

Les secteurs où des usages de la blockchain sont identifiés sont par exemple la banque (tenue de compte), les paiements et transferts d'argent, les marchés d'actions, les droits de propriété, les diplômes, la cybersécurité, les votes, les allocations sociales, les programmes de fidélité, la location de biens, les transactions des "objets" de l'internet des objets et notamment la gestion de l'énergie... 

La capacité à remplacer l'architecture des différents secteurs est donc certainement une variable clef à ne pas oublier pour déterminer la vitesse d'adoption de la blockchain. Dans les domaines où un existant bien établi et juridiquement encadré existe, il n'y aura certainement pas de révolution avant 10 ans. 

Un autre critère d'accélération à regarder est l'ampleur des économies possibles car elle attire la convoitise, puis les investissements et enfin l'innovation.
Une technologie permettant de reposer les bases d'une architecture d'un système vise une économie radicale.

Pour McKinsey&Co qui a publié le mois dernier une étude sur la blockchain centrée sur l'assurance et la banque, le déploiement commercial de la technologie se fera progressivement d'ici 2021 pour les cas d'usages qui ont le plus de potentiel. Les expérimentations se feront en 2018 et selon la "courbe de hype" du cabinet Gartner, on saura au mieux en 2020 quels sont les usages qui permettront d'atteindre le "plateau de la productivité".

Le secteur ayant le plus de potentiel étant celui des transactions transfrontalières d'entreprise à entreprise, générant entre 50 et 60 milliards de dollars d'économies, suivi du financement du commerce avec 14 à 17 milliards de dollars. Les sept cas d'usage qui ont le plus de potentiel génèreront de 80 à 110 milliards de dollars d'économies, donc autant d'opportunités pour les entreprises ou les startups qui sauront les réaliser. À titre de comparaison, bientôt 1 milliard aura été investi dans les startups de la blockchain comme le montrait le graphique précédent.

Donc oui, la blockchain est promise à un bel avenir, mais sa capacité de disruption est certainement sur-vendue.

Cette capacité sera localisée dans certains domaines dont elle reposera les fondements de l'architecture, ce qui prendra du temps - un peu comme l'internet d'ailleurs, qui a balayé les réseaux privés pour un réseau communautaire mondial basé sur TCP/IP.
Cela ne sera pas en quelques semaines, mais en 3 à 5 ans pour les applications les plus rentables et certainement jamais pour beaucoup d'autres.

Les notaires peuvent donc dormir tranquilles et continuer de rêver de transmettre leur étude et son système d'information aux petits-enfants de leurs enfants...
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